Woke, wokisme, cancel culture, grand reset… Tous ces thermes font débats depuis plusieurs mois, dans les médias, dans la classe politique, sur internet. Mais quelle est la définition exacte de ces mots ? D’où viennent-ils et comment sont-il utilisés ? C’est quoi le wokisme et quelle est sa définition ?
Si on prend la traduction littérale du mot anglais « Woke » on obtient « réveillé(e) ». Comment ce tout petit mot rencontré aussi fréquemment peut-il susciter autant de passions ? C’est très simple, il soulève à lui seul de nombreux phénomènes de société, de ceux dont personne ne peut être fier. Le racisme, la justice sociale, l’intégration et son pendant la discrimination. C’est aussi et désormais une idéologie politique. La droite dure s’insurge de la culture woke, l’extreme gauche reprend ses principes. Petit tour d’horizon autour d’un substantif qui déterre bien des problèmes.
Les origines de la culture woke, d’où vient le wokisme ?
A l’origine il y a : Wake up ! Debout, façon anglophone. Au participe passé ça devient « woke », éveillé, réveillé, hors du lit quand on parle, si on écrit correctement c’est « awaken ». Clairement, Woke est un mot argotique, un dérivé du participe passé « woken ».
Le premier « éveillé » connu de l’histoire est Bouddha. Ce dernier est resté en méditation sous un arbre, après avoir fait le vœu de ne pas bouger. C’est ainsi qu’il est parvenu à un état de pleine conscience, qu’il a connu l’ « éveil ». Cette légende pourrait probablement représenter un lien entre les esclaves noirs afro-américains et leur désir d’émancipation. L’éveil serait donc la reconnaissance d’un droit à la liberté. Pour preuve, le livre d’un ancien esclave émancipé, devenu homme de lettres et enseignant « Awakening of the negro » écrit en 1886 dont la traduction du titre est « le réveil du nègre ». Booket T. Washington pose ici le problème de l’éducation des noirs aux Etats-Unis, car la liberté légale ne suffit pas, seule la connaissance, l’instruction amènent la liberté intellectuelle, soit l’éveil de la conscience.
Puis apparait l’expression « stay woke ». L’affaire se corse. Le terme se marie à une injonction. En 1943, The Atlantic mentionne les propos d’un syndicaliste noir. On s’écarte dès lors de la simple lutte antiraciste car ici vient se mêler l’appel des classes prolétariennes contre l’exploitation par les bourgeois. Le blanc ouvrier est convié à la fête, il doit ouvrir les yeux, rester vigilant lui aussi face à l’oppression. Erykah Badu, la chanteuse de musique soul, noire américaine, interprète en 2008 « Master Teacher » dans laquelle elle répète « I stay woke ». Le terme n’a alors rien à voir avec une quelconque revendication. Mais lorsqu’en 2012, l’artiste twitte « stay woke #FreePussyRiot » en soutien au groupe de musique féministe russe, réprimé pour son opposition à la campagne électorale de Vladimir Poutine, le hashtag se répand comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux.
Les Black Lives Matter (Littéralement : « La vie des noirs compte ») fondent leur mouvement en 2013. Michael Brown est abattu par un policier blanc en 2014. Immédiatement le hashtag StayWok est inscrit sur les pancartes durant les manifestations qui ont suivies ce lynchage en règle. En 2017, lors de la remise des Golden Globes, l’affaire Harvey Weinstein défraie la chronique. Une douzaine de femmes accusent alors producteur de cinéma de harcèlement, d’agression sexuel et même de viol. Le New-York Times définira cette volonté d’en finir avec ce sexisme déviant de « woke ». Ce coup de théâtre a permis à 93 femmes de témoigner publiquement des actes dont elles ont été victimes de la part du cinéaste. La culture woke est ainsi née de révoltes certes majoritairement antiracistes mais aussi plus généralement avec un appel à la prise de conscience de toutes les formes d’injustice. Le mouvement Woke est né et il bouscule une Amérique en plein changement.
Wokisme : définition
C’est du côté de nos chers cousins les québécois qu’on trouve aussi une origine de popularisation du terme « woke ». L’office québécois de La Langue Française définit le mouvement « woke » ainsi : « Prône une sensibilisation accrue à la justice sociale ainsi qu’un engagement actif dans la lutte contre la discrimination et les inégalités ». On voit ici, l’étendue donnée et l’appel à l’action qui en découle. Le « woke » est ici sur le front de toutes les questions d’injustice.
Un autre linguiste explique que le mot désigne plutôt un individu militant adhérant à l’idéologie de la gauche antilibérale. Les questions identitaires de toutes sortes seraient au cœur des stratégies actives du « woke ». On remarque ici, la politisation du mot, l’utilisation de terme en lien avec une idéologie dite « déconstructiviste » voire de cancel culture. Désormais le wokisme, c’est non seulement regarder en face les problèmes découlant des injustices sociales, mais aussi ceux liés au réchauffement climatique, avec un appel à un activisme symbolique. Le plus bel exemple est celui des statues déboulonnées. Les images des statues déboulonnées font le tour du monde, et les débats autour du wokisme et du « grand reset » font surface. En politique, les conservateurs de droite se retrouvent face à des jeunes qui veulent effacer le monde de leur parent.
En France, Jean-Michel Blanquer définit le woke ainsi « Si l’on veut le définir, c’est finalement une pensée qui cherche d’abord et avant tout à définir les gens par leur identité supposée et qui met cela avant. »
L’action des « woke »
En 2014, les émeutes en protestation contre les violences policières dépassent déjà largement le cadre de la revendication antiraciste. Le meurtre de Michael Brown ne fut que le catalyseur qui mit en route ce mouvement de colère contre les pratiques violentes des forces de l’ordre américaines, mais aussi de la dénonciation des actes racistes persistants contre les noirs. Déjà, le cadre dépasse une simple récrimination contre un acte isolé. C’est le fonctionnement de la société entière qui est remis en cause, alors que même que le très populaire Barack Obama est encore à la tête du gouvernement.
En 2017, toujours aux Etats-Unis, suite à l’élection de Donald Trump, des femmes manifestent pour dénoncer la misogynie du nouveau président, mais en filigrane se trouve bien une revendication bien plus générale. Ce fut également un temps fort de la contestation contre les violences conjugales, contre la discrimination en matière de salaire etc.
Le 25 mai 2020, le meurtre de Georges Floyd est filmé par un passant alors même qu’un policier l’interpelle en lui bloquant la respiration avec un genou alors que le suspect est au sol. Ce fut le déclenchement d’une vague iconoclaste aux Etats-Unis puis en France et même au Royaume Uni. Le 9 juin 2020, Bristol est ainsi le théâtre d’une manifestation en soutien aux « Black lives Matter » qui a annoncé le début d’une déconstruction de l’histoire : la statue d’Edward Coston fut donc jetée dans la Tamise. Les personnes ne veulent pas se rappeler que Colston était un riche mécène qui fit don d’une partie de sa fortune pour développer Bristol, elles souhaitent uniquement jeter l’opprobre sur cet ancien négrier qui ne devait son statut de grand bourgeois que grâce au commerce triangulaire des esclaves. Le 9 juin n’est qu’un exemple parmi ceux relevés dans ces pays où le wokisme est très présent.
La pensée de la cancel culture s’exporte également en France. Suite à ses événements aux Etats-Unis, on retrouve les memes exactions face à l’assemblée nationale, avec par exemple la statue de Colbert dégradée. Dans le paysage politique et médiatique français, les politiques et les commentateurs ne manque pas de s’insurger de cette culture woke, venue tout droit des Etats-Unis. Parmi les plus critique envers ce mouvement, on retrouve Michel Onfray, Marine Le Pen ou encore Eric Zemmour.
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Le Wokisme : questionnement sur notre passé
Partout des demandes de retrait de statues sont faites. Colbert au Palais Bourbon, le Général Faidherbe à Lille, Thomas Jefferson à New-York pour n’en citer que quelques-unes. Cette dernière faisait d’ailleurs l’objet d’une même requête depuis de longues années de la part des conseillers municipaux d’origine latino ou noire. Si le maire de New-York a anticipé sur les émeutiers en déboulant Jefferson, propriétaire d’une plantation de coton en Virginie où travaillaient quelques 600 esclaves, en France, Emmanuel Macron refuse catégoriquement sans autre explication. Elle viendra plus tard avec une proposition de contre-culture qui consiste en l’apport de nouvelles œuvres témoignant de l’actualité revendicatrice.
La question se pose pour les dirigeants des nations, que doit-on faire du passé ? Est-il légitime d’effacer tout un pan de l’histoire de la traite des esclaves ? Et d’ailleurs, oubliera-t-on juste en effaçant les symboles d’une minorité de certains individus ?
Jefferson, Colbert et tous les autres ont certes commis des exactions, aujourd’hui considérées comme criminelles. Mais faut-il oublier que ces statues ont été érigées pour rendre hommage à des hommes qui ont tout de même participé à embellir qui l’économie locale, qui le rayonnement national. (Tiens ! Mais où sont les femmes ?). A leur époque tout ce beau monde était encensé par la population. Colston a quand même aidé bien des miséreux à ne pas mourir de faim ou à cause de l’insalubrité de leur logement ! Le président Thomas Jefferson est l’un des principaux auteurs de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis. Ce texte est à l’origine de l’établissement des droits fondamentaux des américains qui sont la liberté individuelle. La première écriture du texte proposée par Jefferson englobait aussi la population noire et une volonté d’abolition de l’esclavage. Chacun donne alors son avis, et on l’aura compris, l’orientation politique, le niveau de connaissances, le milieu social de l’orateur, du manifestant wokiste ou antiwokiste est déterminant. Doit-on faire ce fameux grand-reset ? Doit-on se poser plus de questions sur notre passé ? Est-ce la preuve que les histoires des populations sont différentes, et que le passé peut ressurgir avec violence ?
Entre droit et faits, le fossé.
Si l’on reprend le cours du temps, la volonté de chaque peuple occidental est de vivre dans un Monde où les individus seraient égaux. Les constitutions de chaque pays l’ont inscrit.
Le droit des citoyens
Pour la France : « Liberté, Egalité, Fraternité« . En Angleterre : « Le rôle de la loi, Création d’un Parlement et séparation des pouvoirs afin d’assurer un équilibre des forces entre les puissants et le peuple. » Aux Etats-Unis, on peut lire dans Premier amendement : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse. » Le premier amendement ajoute : « le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre. »
Et la réalité…
Dans les faits, les noirs sont assassinés dans les rues aux Etats-Unis, des femmes meurent sous les coups, sont violées en France et ailleurs, les britanniques n’ont pas tous le même accès à des soins etc. La liste est longue des injustices rencontrées dans nos sociétés soi-disant « évoluées ». Pourtant des associations, des intellectuels se battent pour que chaque personne puisse faire valoir ses droits, tels « Touche pas à mon pote » dans les années 80 en France qui luttait contre le racisme, Amnesty International qui est un acteur majeur en matière de dénonciations et actions en faveur de ceux dont les droits humains sont atteints, la fédération LGBT qui défend le droit à chacun d’avoir l’orientation sexuelle qu’il souhaite.
La liste est très longue, il ne serait pas possible ici de la dresser de manière exhaustive. Mais visiblement, ces activistes, pourtant engagés, ne parviennent pas à effacer toutes les injustices. Les wokistes s’insurgent, car la situation est pour eux insoutenable. Le wokisme peut donc définir plusieurs « luttes », parfois communes et parfois séparées. Est-ce que les français ont-ils les memes revendications que les américains ? N’ayant pas la même histoire, la définition du wokisme varie en fonction du pays, du combat mené, même si l’esprit originel peut-être semblable.
Wokisme, plusieurs définitions et des polémiques
Le 13 octobre 2021, le ministre français de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer inaugure le « Laboratoire de la République », un groupe de réflexion chargé d’étudier des thèmes de société pour aider le gouvernement dans ses prises de décisions. Un des objectifs principaux de ce « Think-tank » est de contrer, pour ne pas dire combattre l’idéologie woke. Le ministre n’hésite pas à nommer le mouvement comme «le nouvel obscurantisme ». Ses détracteurs pourront répondre à Monsieur Blanquer que l’Education Nationale française a certainement une responsabilité vis-à-vis de la naissance de ce mouvement. L’obscurantisme n’est-il pas définit par le célèbre dictionnaire « Le Robert » comme l’attitude de ceux qui s’opposent à la diffusion de la culture et de l’instruction et l’école n’est-elle pas vouée cette diffusion ? On peut donc avoir, selon ses idées politiques, plusieurs définitions du wokisme.
L’expression « woke » est désormais utilisée pour nuire à ses adversaires. En rhétorique, on appelle cela la « technique de l’épouvantail ». Au meme titre que les politiques de gauche traite les gens d’extreme droite de « facho », les gens de droite traitent leurs opposants de woke. Voici une excellente analyse issue d’une vidéo d’Arte sur cette « menace » woke brandit bien souvent dans les médias :
https://www.youtube.com/watch?v=7KgPX1jwoFY
A contrario, l’ancienne secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy, Rama Yade tire à boulets rouges sur l’hypocrisie républicaine. Elle défend becs et ongles l’idéologie woke. Elle explique « Le wokisme a été brandi de manière abusive comme un outil de censure. En réalité, c’est juste le refus des discriminations. Ce n’est quand même pas honteux de combattre les inégalités ! Quel que ce soit le nom que vous lui donnez, c’est un noble combat, de justice et de revendication d’égalité dont devrait s’enorgueillir la patrie des droits de l’homme. » Son discours critique l’universalisme à la française. Pour elle, la France nie l’existence de communautés raciales différentes ; pour autant elle remarque que les élites du pays sont très largement majoritairement blanches. Cette négation de la différence entre les races est pour elle l’origine des répressions encore existantes.
Le débat est donc loin d’être clos. Tous les jours, les réseaux sociaux en sont les témoins. Tel Twitter, en recherchant woke, on obtient des centaines de posts revendicateurs ou antiwokisme. Par contre ce mouvement est l’occasion pour tous de se questionner sur le respect de ses libertés individuelles, mais aussi sur la place que l’on souhaite donner aux événements historiques et actuels majeurs. Doit-on retenir le pire ou garder le meilleur ?
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Sondage citoyen :
Fabien, 34 ans, né en Lorraine. Diplômé d’un Master Politiques Publiques à Sciences-Po. Traite l’actualité sociale au sens large. Je ne rate aucun débat politique depuis 2002.
L’exercice était ardu et cet article parvient à un but : situer le woke, mais pas vraiment à le définir strictement.
Sans doute parce qu’il est lui même un objet non circonscrit.
Je ne suis pas un spécialiste du sujet (pas du tout), mais ce que j’en appréhende c’est que le woke est un « concept valise » dans lequel peuvent s’amalgamer toutes les frustrations du monde.
S’y intègrent d’autant plus aisément toutes les causes qui auront concouru et gagner une quelconque course à la victimisation. Non pas qu’il ne faille pas considérer ces causes, mais le problème c’est qu’elles s’agrègent sous une bannière unique qui permet à un gloubi boulga de revendications d’émerger sans ordre ni raison.
Ainsi se retrouvent côte à côte des personnes qui peuvent revendiquer une chose et son contraire. L’exemple le plus patent sont les féministes qui se retrouvent au côté de musulmans radicaux qui prônent la relégation sociale de la femme.
Les contradictions sont légions :
– revendiquer l’égalité pour une « race » tout en contestant/interdisant la notion de « race » (attention, ce n’est pas mon propos)
– bannir les termes Mr et Mme au profit de « Mx » pour ne pas stigmatiser des personnes (ultraminoritaires) qui veulent justement devenir/être des Mrs ou des Mmes
– effacer des pans entiers de l’histoire passée tout en imposant l’apprentissage des faits d’esclavage par les occidentaux ET tout en empêchant l’apprentissage des faits relatant la traite millénaire pratiquée par les arabes
– nier le Genre en général tout en multipliant les revendications spécifiques aux femmes (par exemple)
Et la plus grande source de contradiction étant d’accueillir de façon systématique dans le woke toute minorité « opprimée ». Par l’absurde, le woke devrait-il accueillir les cathos intégristes anti avortement sous prétexte qu’ils sont minoritaires ? Et bientôt, s’allier les chasseurs viandards parce qu’ils seraient battus en brèche par les végans ?
C’est vrai, après tout, toute minorité opprimée, toute !, a droit au respect et à être prise en compte !
Le problème du woke, comme beaucoup d’autres notions actuelles (le funeste « en même temps »), c’est la confusion dont il se fait le relais.
Autant certaines causes qui s’y expriment sont honorables et indispensables, autant d’autres s’y trouvent par effraction.
Tout ne se vaut pas et il faut s’autoriser à distinguer les choses, les concepts, les idées et ne pas chercher à les enrubanner dans un sac fourre-tout. C’est vrai que cela demande un effort intellectuel que de moins en moins de gens sont prêts à déployer.
Une image me vient pour clore mon commentaire :
Le woke me fait penser à ces communautés hippies des années 70, les « maisons bleues » de Maxime Leforestier. Tout le monde y était accueilli sans exception, mais on sait tous que souvent la fraternité ambiante était rapidement rongée par les velléités de qque « dominant ». L’ingénuité originelle ne perdurait pas longtemps. Pire la communauté pouvait perdurer grâce à la dissimulation de l’autorité sous couvert d’une ingénuité apparente.
Ainsi le woke est voué, s’il ne l’est déjà, à être une chose instrumentalisée au profit des plus malins et, hélas, pas forcément des mieux intentionnés.
Je suis impressionné par la façon dont vous avez abordé ce sujet complexe et ambigu. J’avais toujours une vague idée de ce que signifiait être ‘woke’ mais votre article m’a permis de comprendre les différentes facettes de ce mouvement. Merci pour ce post éclairant et édifiant !